« Les enfants dits de la Creuse – Étude de la transplantation de mineurs de La Réunion en France hexagonale (1962 – 1984) » : c’est sous ce titre que ce pan sordide de notre Histoire a été livré à Madame la Ministre des Outre-mer.
700 pages de témoignages, de noms et de chiffres qui relatent le sort réservé, dans les années 60, 70 et 80, à 2015 enfants enlevés à leurs parents, toujours dans des familles pauvres de l’ile de la Réunion, pour être envoyés à 10 000 kms de chez eux, dans la Creuse. Il s’agit de repeupler ce département français se désertifie, alors que La Réunion connait alors un taux de natalité qui dépasse les 50%, contre à peine 20% en métropole.
A la tête de cette initiative : le BUMIDOM (Bureau pour la Migration dans les Départements d’Outre-Mer). Sous l’impulsion du Premier Ministre et, depuis 1963, député de l’Île Michel Debré, les fonctionnaires de la DDASS de la Réunion étaient chargés de repérer les foyers en difficulté dans les milieux défavorisés de l’Île.
Ils proposaient aux parents de leur confier leurs enfants en signant un document ou en apposant leur pouce en guise de signature. En échange, promesse leur était faite de leur faire suivre des études et de les faire revenir régulièrement pour les vacances.
Les enfants étaient ensuite dirigés vers des centres d’hébergement temporaire des services sociaux de la Réunion comme l’APEP à Hell-Bourg, dans le Cirque de Salazie, où beaucoup ont subi des sévices et des maltraitances avant de prendre l’avion vers la métropole. Leur nom de famille était changé. La DDASS leur disait que leurs parents étaient décédés ou ne souhaitaient plus les voir.
Ils ont ensuite été dispersés dans plusieurs départements ruraux en proie au déclin démographique comme la Creuse, qui a accueilli le plus gros contingent, placés dans des foyers de la DDASS comme celui de Guéret, puis confiés à des familles d’accueil, souvent dans des fermes.
Certains ont été bien accueillis mais d’autres ont été exploités, maltraités, humiliés, coupés de leur fratrie.
Tous ont été définitivement coupés de tout lien avec leurs racines et leur famille restée à la Réunion. Certains n’ont pas supporté cet exil et se sont suicidés. La plupart souffrent encore des séquelles psychologiques de cette enfance brisée.
1 800 d’entre eux sont encore en vie et, depuis plusieurs années, tentent de lever le voile sur ce scandale afin, notamment, de retrouver leurs proches. Après avoir quitté la Réunion, Ils ont été placés dans 83 département français, et seulement 10% en Creuse.
Dans leur rapport, les auteurs confirment les milliers de traumatismes subis, aggravés par l’acculturation, la privation de l’identité et l’isolement. Ils dénoncent notamment la brutalité de fonctionnement, les carences et les manquements des services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), ex-Ddass, même s’ils suivaient un protocole en vigueur cette époque des « trente glorieuses » où les enfants n’étaient pas considérés comme des « sujets de droits ».
Michel Debré a été alerté à plusieurs reprises des « dégâts » (suicides, dépressions, fugues) que sa migration forcée commençait à causer chez la plupart des jeunes envoyés en métropole.
Il n’a rien fait, et surtout pas décidé d’arrêter ou d’aménager cette opération. Au contraire, certains fonctionnaires sous ses ordres, comme Alix Hoair, qui dirigeait alors le foyer de l’enfance de Guéret, ont été démis de leurs fonctions pour lui avoir fait part de leurs doutes sur le bien-fondé de son action.
Dans les années 2 000, 35 ans après avoir été enlevé à sa mère à la Réunion et envoyé en Creuse, Jean-Jacques Barbey sera le premier des réunionnais exilés à porter plainte contre l’Etat Français, après avoir vainement demandé à reprendre son nom de naissance, Jean-Jacques MARTIAL.
Malgré l’intervention d’avocats célèbres comme Gilbert Collard ou le Réunionnais Jacques Vergès, aucune juridiction ne reconnaîtra sa responsabilité. Après un dernier échec devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, toutes les voies de recours judiciaires seront épuisées.
Pour Philippe Vitale, le sociologue qui a présidé ce travail de recherches, « expliquer, remettre dans le contexte, ça n’est pas excuser ». C’est permettre, avant tout, que des leçons soient tirées de ces faits.
Pour consulter le rapport intégral adressé à Madame la Ministre des Outre-mer « Les enfants dits de la Creuse – Étude de la transplantation de mineurs de La Réunion en France hexagonale (1962 – 1984) », cliquez sur ce lien.