On était en janvier, juste après les fêtes. Ce matin là, X ne laissa rien paraître d’inhabituel en quittant la maison. Mais le soir, sa jeune épouse et sa fillette l’ont attendu en vain. Il n’est pas rentré. Ni le lendemain, ni les jours suivants… En fait, X n’est jamais reparu depuis 15 ans. On ne l’a pas revu non plus dans la petite entreprise qu’il venait de créer, en banlieue toulousaine. Ses proches « savent qu’il est vivant », rien de plus, ou si peu.
« Au début », confie son unique frère, « nous n’avons rien entrepris pour tenter de le retrouver. Une personne majeure, du moment qu’elle n’a pas tué ou volé, peut partir où bon lui semble. Nous épluchions tous les faits divers. Lorsqu’un corps non identifié était découvert, lorsqu’un inconnu était arrêté, c’était toujours l’angoisse. Des corbeaux téléphonaient pour annoncer sa mort. Ma mère tremblait tout le temps. » Une démarche officielle de recherche dans l’intérêt des familles ne donne rien de vraiment concret.
Au bout d’un an, Mme X entame une procédure pour abandon du domicile conjugal et demande le divorce.
Tout le monde a le droit de disparaître
Le cas de X est beaucoup plus courant qu’on ne le pense.
Chaque année, en France, le ministère de l’Intérieur inscrit par rotation 35.000 à 38.000-noms sur son Fichier des personnes recherchées (FPR). Mais ce chiffre englobe les gens traqués par la justice, les mineurs fugueurs, les adultes dépressifs ou suicidaires et, dernière catégorie qui nous intéresse aujourd’hui, les adultes partis de leur plein gré faisant l’objet de recherches dans l’intérêt des familles (RIF).
Dans une année, près de 2.500-hommes et femmes, des maris, des épouses, des pères, des mères d’enfants en bas âge, s’évanouissent ainsi sans crier gare. Le plus souvent, ils tentent d’échapper à une existence qui s’écartait trop de leurs aspirations. Selon le ministère de l’Intérieur, ce chiffre augmente régulièrement.
Beaucoup sont retrouvés, certains rentrent à la maison, d’autres — au moins la moitié — refusent même de communiquer leur adresse. Ceux-là rompent définitivement les ponts avec parents et amis. «Les autorités avisent la famille qu’ils sont en bonne santé, rien de plus. On enlève son nom du fichier des RIF et l’action officielle s’arrête», précise-t-on au ministère.
Rien n’oblige quiconque à rechercher une personne qui a choisi de ne plus communiquer avec les siens. L’idée que chacun est libre de refaire sa vie au loin est stipulée dans les articles 1 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Toute personne jugée capable — ce qui exclut les mineurs et les majeurs malades mentaux — a parfaitement le droit de disparaître.
Couvert de dettes
C’est effectivement ce qui s’est passé pour X. « Pendant quelque temps, nous avons essayé de le rencontrer pour qu’il nous explique les raisons de sa fuite, surtout moi. Le plus dur, peut-être, c’est de ne pas comprendre », poursuit le frère. « Il n’a jamais envoyé le moindre petit message, ni à sa femme, ni à sa fille, ni à notre mère. Nous l’avons localisé à plusieurs reprises, mais à chaque fois nous étions en retard de quinze jours. Il venait de déménager. » Les mois ont passé. « En guise de nouvelles, des gens ont commencé à appeler pour réclamer l’argent qu’il leur avait emprunté, au moins 300.000 F en tout. Moi même, je m’étais porté caution devant une banque pour qu’il puisse acheter une belle voiture. Il m’avait dit : je te rembourserai. J’ai payé pendant des années. A une époque, j’avoue avoir éprouvé de la haine à son encontre. Maintenant, je ne sais plus. Mon frère a, paraît-il, refait sa vie pour la troisième fois, hors de l’Hexagone. J’imagine qu’il ne parvient pas à surmonter sa honte pour regarder en face ceux à qui il a fait tant de mal. »
La supercherie du train accidenté
Ceux et celles qui veulent disparaître à tout jamais imaginent quelquefois des histoires dignes d’un roman inspiré de l’actualité. L’histoire qui suit n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres.
En octobre 1999, un informaticien britannique de 37-ans, Karl Hackett, regarde au journal télévisé les images choc de l’accident ferroviaire en gare de Paddington, près de Londres. « Le drame », indique le présentateur télé, « a fait trente et une victimes. Certaines, dont le corps a été entièrement calciné, ne sont pas identifiées ». C’est alors qu’une idée germe dans la tête de Hackett. Voilà l’occasion qu’il attendait depuis si longtemps pour se glisser dans la peau d’un autre ! Il téléphone à Scottland Yard — assailli ce jour-là par plus de 4.000 appels —, sous un nom d’emprunt : « Je suis inquiet pour l’un de mes locataires qui n’est pas rentré cette nuit. Il voyageait dans le train accidenté. Ce monsieur s’appelle Karl Hackett. » Le lendemain, la fausse victime rappelle, se faisant passer cette fois pour son « frère angoissé ». La police ajoute Karl Hackett à la liste des disparus identifiés. Le plan semble marcher à merveille. Tellement bien que la famille pleure Karl lors d’une cérémonie funéraire publique.
Elles abandonnent leur bébé
Karl Hackett entame une autre existence sous l’identité d’un ami d’enfance décédé très jeune, Lee Simm. Il a même obtenu un passeport à ce nom.
Mais les policiers sont intrigués par certains détails. Le coup de fil du frère angoissé ? Karl Hackett était fâché avec son frère qui n’avait plus de nouvelles de lui. Lee Simm ? Karl Hackett avait été condamné pour avoir déjà « emprunté » l’identité de Lee Simm. Le « propriétaire » de Karl Hackett qui avait appelé le jour de la collision ne s’était-il pas présenté sous le nom de Lee Simm ? Accompagnés du neveu de Karl, les enquêteurs se présentent au domicile du prétendu Simm. Surprise lorsque celui-ci ouvre la porte : « Mais c’est mon oncle Karl ! », lance le neveu. Le tonton a été condamné récemment à deux ans de prison pour usurpation d’identité.
Rien n’arrête ceux qui sont déterminés à partir, à se fabriquer une nouvelle personnalité, ailleurs, avec d’autres gens autour d’eux. Pas même l’amour filial. Combien de jeunes mères ont-elles tourné le dos définitivement à leur bébé ? « Le plus dur n’est pas de partir, mais de revenir », admet une disparue volontaire. Patricia Fagué, qui a retrouvé des centaines de personnes dans le cadre de l’émission « Perdu de vue » raconte que des personnes réunies au bout de nombreuses années n’avaient plus rien à se dire, le cordon affectif était rompu.
D’autres, par contre, repartent sur des bases différentes.
Tous ceux qui ont perdu un être cher veulent savoir « pourquoi il est parti ».
Source : Alain BUISSON pour La Dépêche du Midi du 12/03/2000.
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