22 ans après la disparition du célèbre peintre aux 8 000 toiles, son cadet Nicolas Buffet ressent désormais l’urgence de partir à la découverte de sa famille biologique.
Il a beau avoir vécu un véritable conte de fées, ce musicien de 50 ans n’en a pas moins ressenti toute sa vie un besoin profond de savoir d’où il venait et qui il était.
Recueilli à l’âge d’un an et demi par le célèbre peintre expressionniste Bernard Buffet et son épouse Annabel, Nicolas grandit entouré de deux soeurs aînées également adoptées, Virginie, née en 1962 et Danielle, née un an plus tard.
Lui a vu le jour en mai 1971 à l’hôpital de Sisteron, dans les Alpes de Haute-Provence, d’une fille-mère abandonnée par un homme de passage dont elle était très amoureuse. “Un ingénieur des Ponts-et-Chaussées d’origine yougoslave, employé sur le barrage du lac de Sainte-Croix, qui n’a probablement jamais su que j’existais”.
Cette anecdote, Nicolas la découvre à l’âge de 11 ans et demi, après qu’un camarade lui ait révélé son adoption dans la cour de récréation. “Ses parents en avaient pris connaissance quelques jours plus tôt dans Paris-Match et Jour de France. Ca a été un choc pour moi parce que ce n’était pas la première fois que j’entendais ces rumeurs sur mon adoption. J’avais interprété les deux premières comme de la jalousie. C’est seulement au bout de la troisième que je me suis dis que cela devait être vrai. Je m’en suis confié au médecin de famille dont j’étais proche en lui disant : “Je n’arrive pas à en parler à mes parents”. Et c’est lui qui a fait passer le message à ma mère. Mais elle ne s’est pas étendue sur le sujet. Elle s’est contentée d’enjoliver les faits, en résumant mon existence à la belle histoire d’amour dont j’étais soi-disant issu.” Nicolas ne trouve pas davantage d’écoute du côté de son père. “J’aurais aimé avoir cette conversation avec lui. Mais il n’y avait pas à discuter : maman ne pouvait pas avoir d’enfants, point.”
Nicolas mène une adolescence joyeuse et folklorique en Provence, entouré de personnages plus hauts en couleurs les uns que les autres, à commencer par son père, star de la peinture de son vivant, ce qui est assez rare pour être relevé. Il n’empêche que, se sentant de trop, ou pas à sa place, il quitte le foyer familial à 15 ans.
Son parcours, privilégié en apparence, est en réalité teinté de drames. Des suicides – ceux de ses grands-parents maternels, puis de son père le 4 octobre 1999 -, des addictions – l’alcool, dont Annabel narrera la dépendance dans un livre, “D’amour et d’eau fraîche” en 1986 – et des déviances qui expliquent peut-être pourquoi le couple n’accèdera à l’adoption que via des filières « parallèles ».
Persuadé d’être né sous X, Nicolas découvre les coulisses de son arrivée chez les Buffet en 2002, “dès que la loi m’y a autorisé. Je me suis dit : “je dois mettre la main sur ces papiers, joindre la Ddass. Mais j’étais inconnu des services sociaux ! J’ai alors demandé à l’homme d’affaires de mon père, qui m’a donné l’adresse d’un notaire qui s’était occupé de tout. Quand ma mère l’a su, elle l’a très mal pris.
J’ai appris, sous toutes réserves, que j’avais été reconnu par ma mère à la mairie où elle-même était employée, sans que personne autour d’elle ne le sache ! Trois mois après ma naissance, en août 1971, ma mère a épousé un gendarme qui n’a pas voulu de moi. J’ai donc été abandonné et adopté à l’âge d’un an et demi. Où étais-je avant cela, mystère… J’ai fait parvenir une lettre à ma mère biologique pour savoir, pour pouvoir me situer dans quelque chose de géographique, de culturel, pour pouvoir me mettre en paix, mais elle ne m’a jamais répondu. Je sais qu’elle a eu une fille après moi, que je ne connais pas non plus, qui ne sait peut-être même pas que j’existe. Mon but n’est pas de mettre le bordel dans sa vie, même si elle a quand même mis le bordel dans la mienne ! Mais je vais bouger, je m’y sens prêt, j’y pense depuis si longtemps… J’ai deux enfants à mon tour, et un jour, ils auront eux aussi besoin de connaître leur histoire ».
Une histoire sur laquelle à défaut de mettre des mots, il se contente, pour l’heure, de mettre des mélodies.
Propos recueillis par Patricia Fagué
10/03/2021