Sylviane, née sous X en février 1962 à la maternité de Pau (64), a fait appel à nous en mars 2022 pour l’aider à retrouver ses parents biologiques, surtout sa mère, « Fernande, 32 ans, métayère, mariée et déjà maman d’un garçon de 14 ans », selon son dossier d’Aide Sociale à l’Enfance. Son père Antoine E., dont sa mère a révélé l’identité complète lors de l’abandon, était ouvrier agricole et « depuis deux mois, au service de Fernande et de son mari comme domestique ». Lui-même ancien pupille de l’ASE dans les Landes, il était « âgé de 26 ans lors de cette relation non-consentie, appartenait à la communauté des gens du voyage et aurait fait de la prison ».
Malgré ces indices relativement riches, le Cnaop, saisi par Sylviane, n’a retrouvé aucune des deux familles, précisant malgré tout que son père « était décédé, ne s’était jamais marié et n’avait pas eu d’autre enfant » et que le prénom d’usage de sa mère – Fernande – n’était pas forcément celui de l’État civil.
Fernande était donc née vers 1930, puisqu’elle avait 32 ans en février 1962.
Elle était mariée et mère d’un garçon de 14 ans, donc né vers 1948, ce qui donne une idée de l’année vers laquelle elle a convolé.
Son prénom « d’usage » n’était peut-être que son deuxième prénom, voire un prénom fictif.
Nous disposions de davantage d’informations sur Antoine, notamment son identité complète. C’est pourquoi nous avons décidé de commencer les recherches de son côté. Nous avons rapidement découvert, grâce à son lieu de décès, qu’il n’était pas âgé de 26 ans en 1962, mais de 24. Grâce à différents sites de généalogie, nous avons pu identifier ses nombreux frères et soeurs, et contacter les trois seuls survivants de la fratrie : Benita, Marinette et Dominique E. Peut-être avaient-ils eu vent de « Fernande » ou du moins d’une métayère chez qui Antoine aurait pu être employé en 1961, soit dans les Landes, soit dans la région de Pau ?
Leurs versions diffèrent car, placés dans des familles d’accueil du fait de l’illettrisme et de la précarité de leurs parents, qui vivaient en roulottes tractées par des chevaux, ils n’ont pas grandi ensemble bien qu’ils soient toujours restés en contact.
Pour Dominique, Antoine a travaillé comme ouvrier agricole à Vielle-Tursan, chez « A Francis », avant de devenir chauffeur de camions.
Entre ces deux métiers, selon Marinette, Antoine aurait fait la guerre d’Algérie et se serait ensuite installé dans la région de Pau, employé par la Société d’Eau SESMA puis dans un cimetière. Mais elle confirme qu’il a passé son adolescence à Vielle-Tursan, placé à 16 ans en famille d’accueil, et qu’il n’aurait pas effectué de séjour en prison.
Pourtant, son parcours militaire indique le contraire : Antoine aurait bel et bien été incarcéré, avant d’être amnistié, à en croire un avis de la gendarmerie de Tarbes en 1964. Militaire en Algérie de 1958 à 1959, il avait quitté l’armée le 28 septembre 1959 pour se retirer à Vielle-Tursan comme « ouvrier agricole ».
Contrairement à ce que le Cnaop a affirmé à Sylviane, Antoine a eu une fille, Joëlle, née en 1967 à Pau, qu’il a élevée jusqu’à son décès en 2002 et qui ignorait l’existence de cette demi-soeur.
Pour Joëlle, c’est à Coudures et non à Vielle-Tursan que son père aurait vécu avant de rencontrer sa mère, une « gadji », qui n’appartenait pas à leur communauté.
Pour tenter d’y voir clair dans ces itinéraires et de concentrer nos recherches sur un lieu précis, nous avons étudié les mouvements d’une partie de la fratrie E. entre la naissance de leurs parents – les grands-parents paternels de Sylviane – et l’année 1961.
Tout commence par la rencontre entre Amédée E. (né en 1898 dans les Landes et décédé en 1963 à Tarbes) et Luisa G. (née en 1908 en Espagne, et décédée en 1990 à Pau). Ils auront 22 enfants au total, nés entre l’Espagne, les Landes, les Pyrénées-Atlantiques et les Hautes-Pyrénées.
Antoine n’apparaît sur aucun document les concernant, pas même comme témoin de mariage, ce qui était notre espoir notamment à l’occasion des noces de sa soeur Anna E. à Vielle-Tursan en 1961, année de la conception de Sylviane.
Nous nous sommes malgré tout focalisé sur cette localité, dans la mesure où elle était le dernier point de chute officiel de son père (retrait de l’armée en 1959).
À Vielle-Tursan, tout le monde se connaît et le hasard faisant bien les choses, l’un des administrés, Lucien L., 85 ans, a bien connu les E. : ses parents ont élevé Dominique ! Grâce à lui, nous avons pu retrouver la propriétaire de la ferme « A Frances » où Antoine a travaillé : Suzanne. Hélas, cette histoire ne lui disait rien. Cependant, Lucien nous a livré quelques souvenirs, dont il conviendra de démêler le vrai du faux.
D’après lui, Antoine aurait quitté Vielle-Tursan en janvier 1959 pour travailler à St-Sever comme ouvrier ou chauffeur pour la famille C., avec qui il aurait eu des démêlés qui l’aurait conduit en prison, puis se serait installé à Pau. Mme C. serait-elle la « Fernande » que nous cherchons, maman d’un garçon de 14 ans en 1962 ? C’est donc là que se poursuit notre enquête.
Nous identifions le fils unique de cette famille, Dominique C. Hélas, non seulement il n’est pas né en 1948 et ne correspond donc pas au « fils de 14 ans » qu’avait Fernande mais sa mère, qui en outre ne se prénommait pas Fernande, n’a jamais eu de relation extra-conjugale. De plus, ses parents n’avaient pas de ferme mais une boulangerie.
Cette piste tombant à l’eau, nous décidons malgré tout d’éplucher le recensement de population de St-Sever pour la dernière année consultable (1936) afin d’y relever les prénommées Fernande nées entre 1929 et 1931.
Nous en trouvons trois :
– Fernande C., née en 1930. Elle s’est mariée en 1952 mais aucun de leurs enfants n’est né entre 1947 et 1949.
– Fernande L., née en 1929. Elle s’est mariée en 1969, donc après 1962.
– Fernande C., née en 1929. Elle s’est mariée en 1951 et a eu deux enfants, l’un en 1952, l’autre en 1954.
Cette piste s’effondrant à nouveau, nous nous sommes attelés au recensement de l’ensemble des prénommées Fernande, nées dans les départements 40 et 64, entre 1929 et 1931, encore en vie ou décédées et ayant eu un enfant de sexe masculin entre 1947 et 1949.
Nous en avons identifié près d’une centaine. 44 ont été contactées – ou leurs proches lorsqu’elles étaient décédées – avant que la 45ème nous intrigue particulièrement : Marie Fernande T.
Née le 21 avril 1930 à M., elle est la fille unique de Catherine et Gérard T., décédé à M. en 1938, alors qu’elle n’avait que 8 ans.
Cultivatrice puis métayère, Marie Fernande se marie en avril 1947, mineure, avec Eugène G. à St-Sever où elle vit avec sa mère.
Son mari Eugène, né en 1922, est dans la même situation qu’elle : il est orphelin de père, et cultivateur à Eyres-Montcube, où il réside avec sa mère.
Leur unique fils, Jean-Claude G., nait à St-Sever en août 1948. Une enfance malheureuse le conduit à divorcer de Germaine D., dont il n’a jamais eu d’enfant, et à sombrer dans l’alcoolisme. Placé sous tutelle, il s’installe en 2017 dans les Landes, où il sera retrouvé mort devant son domicile en 2020.
Entre temps, il avait hélas perdu son père Eugène, décédé en 1998 et sa mère Marie Fernande en 2004, à l’âge de 74 ans.
De cette famille ne restaient en vie que deux cousines, Viviane et Aliette, dont la fille Isabelle, contactée par nos soins, a immédiatement confirmé que Marie Fernande avait bel et bien eu une relation, consentie, à Audignon avec Antoine. Mais pour sauver son honneur, Fernande avait donné une toute autre version à son mari et aux services sociaux.
Sylviane (à gauche sur la photo) a pu rencontrer Isabelle dès le week-end suivant, qui lui a permis de découvrir le visage de sa mère, l’histoire de sa conception et celle de sa famille biologique.