Le dernier roman d’Eric Paradisi nous conte l’histoire de Camille, née sous X avec pour particularité d’être hermaphrodite. Depuis La Peau des autres, un premier roman singulier et mystérieux, mais aussi Séquelles ordinaires (Gallimard, 2005, 2007), qui mettait en scène un couple d’amants, Eric Paradisi ne cesse d’explorer le corps sous toutes ses formes. Même les plus ambivalentes comme dans le délicat et très poétique Baiser sous X où l’écrivain s’aventure sur un terrain peu fréquenté et relativement risqué, l’hermaphrodisme, pour interroger un corps partagé entre deux identités, deux mères.
Né(e) d’un « baiser sans lendemain », Camille est dès sa naissance rejeté(e) par sa mère biologique, une jeune fille qui ne veut ou ne peut garder ce corps qui encombre le sien. A l’ambivalence de cette femme en déroute répond très vite celle d’un autre personnage : la mère adoptive, une femme stérile, qui peine à choisir le sexe de cet enfant nouveau venu. Moins perçu(e) comme une anomalie que comme une providence, l’hermaphrodite est accueilli(e) et choyé(e) par Bettina et sa fille, Margot. Dans la chaleur et la douceur d’un foyer que le mari a déserté, Camille va grandir sans être soumis(e) à la contrainte de choisir. Jusqu’au jour où la société se rappelle à lui/à elle, par l’entremise de l’école.
Prenant modèle sur sa soeur, c’est en petite fille qu’elle entre à la maternelle et appréhende l’univers clivé des cours de récréation et des codes de couleur. Avant de basculer sur l’autre versant, lors d’un été doux et lumineux, sous l’effet d’un baiser. Celui de Lola, son premier amour. Alors que Bettina lui révèle qu’elle n’est pas sa mère biologique, Camille décide de remiser ses robes, de couper ses cheveux, de corseter l’adolescente qui s’éveille en lui, afin de découvrir cet autre continent longtemps enfoui. Un continent qui lui révèle bien vite la douleur de n’être qu’une moitié des choses, qu’une illusion. Un fantasme dont vont se servir les photographes de mode…
Abandonnant sa part masculine, Camille devient alors l’égérie d’un groupe de rock londonien, puis la muse d’un créateur new-yorkais. En fuite d’un corps qui l’isole, The Waif (« l’enfant abandonné ») comme le surnomment les magazines, s’expose, s’offre aux regards des autres, à leurs baisers, à défaut de pouvoir montrer son propre corps. Pour compenser, peut-être, l’absence d’une mère qu’elle croit un jour reconnaître sous les traits de Lady Lou, star de la musique électronique. Dès lors commence une autre quête tout aussi incertaine, comme l’est cet être à jamais ambivalent. Et si la vie de cette femme, sa mère, que Camille projette au fronton de ses nuits solitaires, n’était que le fruit d’un fantasme, celui de deux corps enfin réunis ?
Du corps absent et rêvé d’une mère à celui d’un être qui oscille entre deux identités sexuelles, ce récit a l’atmosphère étrange et envoûtante. Tout à la fois récit d’un apprentissage douloureux, d’une quête (celle d’un enfant et d’une mère), d’un amour maternel et fraternel à la tonalité incestueuse, Un baiser sous X navigue entre plusieurs genres. Telle n’est pas la moindre des qualités de ce roman indéterminé, dans lequel Eric Paradisi, porté par une écriture ciselée, oscille entre rêve et réalité, prosaïsme et poésie. Pour mieux envelopper son lecteur dans l’étreinte d’un baiser doux et sensuel.
Un baiser sous X – Un document de Eric Paradisi – Editions Fayard – Parution le 06 janvier 2010 -187 pages – 16,90 €.
Source : Christine Rousseau pour Le Monde.fr du 19 février 2010.