A 41 ans, Nathalie est une jeune femme à qui tout réussit. Epouse comblée et maman épanouie de trois grands enfants, elle est conseillère en assurances-vie à Bourail, un village paisible de Nouvelle Calédonie. Seule ombre au tableau : son père, qu’elle n’a jamais connu… et jamais cessé de chercher.
Nous sommes le 3 mars 1962. Jean-Pierre, un jeune appelé d’une vingtaine d’années, embarque à Marseille sur le « Calédonien » avec deux copains de régiment. Destination Nouméa, Nouvelle Calédonie.
En octobre 1962, le bataillon est muté au camp militaire de Nandaï, à Bourail, où le jeune militaire ne tarde pas à faire la connaissance d’une ravissante autochtone, Mireille. « Je n’ai jamais su les circonstances réelles de leur rencontre mais il me semble que ce devait être à l’occasion d’une fête locale comme il s’en organisait tant à cette époque dans les villages. Le sujet est tabou pour ma mère. Elle l’a tellement aimé et a tant souffert… Elle n’a jamais souhaité en parler, même si elle ne m’a jamais caché ni la vérité, ni son identité. Elle m’a d’ailleurs donné le peu de photos de lui qu’elle détenait. Mais je n’ai rien de plus que son nom, son prénom et une idée approximative de son âge. Ma mère me dit qu’il était de février 1942 et qu’il était probablement originaire, dans ses souvenirs, de Casablanca ».
Quelques mois après leur rencontre, Mireille tombe enceinte. Le jeune couple fait des projets de mariage mais la mère de Jean-Pierre, jugeant sa future belle-fille d’un milieu social inférieur au sien, s’oppose à leur union. « Quand, à l’issue de son service, mon père est rentré en France, il était question qu’on parte le rejoindre. Il a d’ailleurs emporté quelques photos de moi avec lui. Et cette fois, c’est ma grand-mère maternelle qui, pour nous protéger, a déconseillé à ma mère de quitter le pays. Ca a été un déchirement pour elle, sans compter les quolibets qu’elle a dû endurer du fait quelle se retrouvait fille-mère à 17 ans, dans un village où tout le monde se connaît… »
Besoin de savoir
Il faudra à Mireille près de quatre ans pour entamer le deuil de son premier amour et refaire sa vie. Le nouvel élu de son coeur adopte Nathalie. La naissance d’un petit frère onze ans plus tard vient agrandir la famille mais Nathalie sait déjà, et depuis bien longtemps, que le papa qui l’élève n’est pas celui qui l’a conçue. « J’ai ressenti le besoin de le connaître très petite. Ca m’a toujours travaillée, je posais beaucoup de questions. D’ailleurs, on n’a jamais dénigré mon père dans la famille, au contraire. Quand je demandais comment il était, on me répondait toujours la même chose, qu’il était beau, que c’était vraiment un bel homme. Pendant des années, j’ai compris que je ne pourrai pas en savoir davantage puis, à l’adolescence, c’est devenu impératif, avant de devenir vital lorsque je suis moi-même devenue mère de famille. J’ai besoin de connaître mes racines. Alors, j’ai repris contact avec les deux camarades de régiment de mon père qui, eux, n’ont jamais vraiment quitté le pays. Ils sont repartis en même temps que mon père, mais ils sont revenus et ils ont épousé des calédoniennes. A chacun de leurs voyages en France, ils font des recherches pour m’aider à retrouver mon père mais ça n’a jamais rien donné. Et puis un soir, n’en tenant plus, j’ai lancé des avis de recherches sur Internet… »
Aujourd’hui, toute la famille soutient Nathalie dans sa quête, à l’exception de Mireille qui ne comprend pas sa motivation. « Ma mère ne voit pas pourquoi je le recherche tant alors qu’il ne s’est jamais occupé de moi. Mais si ça se trouve, il est marié et a des enfants et sa famille n’est peut-être pas au courant de mon existence. D’ailleurs, je veux qu’il comprenne qu’il n’y a rien de malsain dans ma démarche. Je veux qu’il sache que j’ai peur aussi. Peur de perturber sa vie, de bouleverser toute une famille. C’est pourquoi je suis disposée à accepter de le voir discrètement. Ma grand-mère et ma tante, par contre, vont dans mon sens. Elles trouvent même, elles qui ont connu mon père, que mon fils aîné lui ressemble comme deux gouttes d’eau ».
L’enquête
Qui est Jean-Pierre, embarqué sur le « Calédonien » en 1962 ? Appartenait-il à l’Armée de Terre, à la Marine Nationale, à la Marine Marchande ?
Que transportait le « Calédonien » ? Des marchandises, des passagers ?
D’après la Marine Marchande, basée à Paimpol, ce paquebot était bien destiné au transport de passagers. Leurs archives confirment qu’il a été armé en septembre 1961 et qu’il est arrivé à Marseille en 1962 avec 140 hommes d’équipage mais les noms des trois acolytes ne figurent pas dans le rôle d’équipage… Le « Calédonien » quitte pourtant bel et bien la ville phocéenne le 3 mars 1962, accoste à Alger le 4 mars, puis à Madère, Fort-de-France, Pointe-à-Pitre, Papeete pour faire escale à Nouméa le 15 avril 1962 après un dernier détour par Sydney. Il appartenait à la Compagnie des Messageries Maritimes qui a depuis été rachetée par la Compagnie Générale Maritime.
La Marine Nationale, basée à Toulon, confirme de son côté que le « Calédonien » est une unité de la Marine Marchande et non de la Marine Nationale.
C’est finalement l’écusson visible sur la photo où Jean-Pierre danse avec Mireille qui « parlera ». Il s’agit de l’insigne des Troupes de Marine. « Notre » Jean-Pierre ne peut donc dépendre ni de la Marine Marchande, ni de la Marine Nationale, mais de l’Armée de Terre !
Après plusieurs mois d’enquête, PersonneDisparue parvient à identifier le « bon » Jean-Pierre : un retraité, paisiblement installé en Charente-Maritime avec la femme qui lui était probablement promise puisqu’il l’a épousée un an à peine après son retour de Nouvelle-Calédonie. Une situation délicate pour Nathalie comme pour lui, même si elle était prévisible.
Il aura fallu beaucoup de tact et de patience à Nathalie pour parvenir à convaincre ce papa biologique d’accepter son existence et son affection. Et davantage encore d’amour et de tolérance à l’épouse légitime de Jean-Pierre pour accepter cette grande enfant tombée du ciel.