Fin 2016, Yvette, 66 ans, prend contact avec Patricia Fagué. La journaliste, spécialisée dans les recherches familiales depuis près de 30 ans, incarne son ultime espoir, dans ce parcours jalonné d’obstacles, pour retrouver sa mère biologique.
De cette dernière, Yvette ne sait rien, si ce n’est un prénom, « Paulette », et un âge approximatif, « 27 ans ». Des informations qu’elle a récupérées au fil des ans, des courriers en recommandé, des portes qui se ferment, puis des démarches qui finissent par payer. « L’ASE, où je me suis déplacée à trois reprises, me sort un nouveau document à chacune de mes visites mais rien qui puisse me faire avancer. Les Archives Départementales m’ont assuré que mon dossier avait brûlé. La Mairie de ma ville de naissance persiste depuis des années à m’envoyer le même acte, le Procureur aussi. Il n’y a que du dispensaire où j’ai été placée que j’ai enfin pu obtenir un certificat indiquant que ma mère se prénommerait Paulette, et qu’elle avait 27 ans lors de son accouchement en 1950. Elle portait le numéro X 108. Elle m’a donné le prénom de Colette, avant que je devienne Yvette par adoption, et le sein pendant 12 jours. »
Des petits rien qui représentent beaucoup lorsqu’on ignore tout de sa propre Histoire… mais qui demeurent insignifiants pour parvenir à la reconstituer !
Comme pour chacune de ses enquêtes, Patricia a donc commencé par lister l’ensemble des informations à sa disposition concernant la personne recherchée :
– une prénommée Paulette;
– âgée de 27 ans en août 1950 (donc née entre 1922 et 1924, plus probablement 1923);
– admise le 28 août 1950 à la « Maison maternelle » de l’hôpital de la ville de …, dans la Somme, pour y accoucher le 29 à 5H d’un enfant de sexe féminin prénommée Colette;
– s’étant présentée au « bureau ouvert » pour l’abandonner le 9 septembre 1950, sous l’identification de « X 108 ».
Une première réflexion en ressort : si Paulette a été admise en maternité le 28 août 1950 pour accoucher quelques heures plus tard, c’est qu’elle y est arrivée en urgence, à la dernière minute, donc très probablement des alentours. On peut donc supposer qu’elle vivait dans la ville même où elle a accouché, voire qu’elle en soit originaire.
Il apparaît rapidement que seules trois prénommées « Paulette » figurent dans les archives de la ville entre 1922 et 1924 :
– une née en octobre 1924 et décédée en novembre 1925 ;
– une née en août 1924 et décédée en mai 1927 ;
– une née en octobre 1923, domiciliée en 1950 à l’angle de la maternité, mariée avec un Allemand en 1951, de profession vendeuse puis chapelière, et décédée, toujours dans la Somme, en 2004.
La seule qui a 27 ans en 1950 est donc cette dernière, Paulette L.
Elle réside, en outre, dans la ville concernée, l’année concernée.
Elle est célibataire (elle ne se mariera que 9 mois plus tard, en mai 1951).
Elle aura un fils en novembre 1951, 6 mois après son mariage.
Ces informations peuvent-elles être croisées avec celles éventuellement conservées par la maternité de la ville ? C’est ce que la journaliste d’investigation va s’attacher à vérifier.
Et ses recherches vont payer : la seule enfant de sexe féminin, prénommée Colette, née entre août et septembre 1950 au sein de cette maternité est bien reliée à la nommée « X 108 » en date du mardi 29 août 1950.
Quant à « X 108 », elle se prénomme bien « Paulette », sans autre indication si ce n’est qu’elle est déclarée avoir été admise en maternité le 1er septembre, alors qu’elle a accouché le 29 août. Il s’agit probablement d’une erreur administrative, à moins qu’il ait été considéré que son admission « en maison maternelle » date bien du lundi 28 août mais que la date du 1er septembre corresponde à son transfert en « maternité », ce qui expliquerait cette seconde « entrée », d’autant que sa sortie le 9 septembre 1950 correspond parfaitement, elle, avec la date de sa présentation au « bureau ouvert ».
Il s’agit donc bien de la « bonne » Paulette. A ce stade, nous ignorons encore, par contre, si elle a 27 ans, ni même d’où elle est originaire. Le seul moyen serait de comparer ces informations avec celles figurant sur le même registre, en 1951, concernant l’accouchement du fils de Paulette L., notamment en vérifiant s’il s’agissait de sa seconde grossesse.
Mais en 1951, nulle trace de Paulette à la maternité de l’hôpital, ni sous son nom de jeune fille, L., ni sous son nom d’épouse … Tout simplement parce qu’elle a fait le choix d’accoucher de son fils chez elle, à l’angle de la maternité.
On peut s’étonner que Paulette ait fait le choix d’accoucher à domicile, d’autant qu’elle n’avait que la rue à traverser pour le faire à l’hôpital où, cette année-là, 9 naissances sur 10 avaient lieu. Mais ce choix n’est probablement pas hasardeux si Paulette L. correspond bien à Paulette « X 108 ». D’autant que de nombreuses coïncidences peuvent le laisser supposer :
D’après les « anciens » de la commune, Paulette L. était une dame « très classe », dont l’époux était connu pour son investissement dans différents « jumelages ».
Elle aurait pu, pour cacher une grossesse hors-mariage, se terrer neuf mois chez elle avant d’accoucher au dernier moment à l’hôpital voisin, sous X. Accoucher à la maison d’un enfant que l’on souhaite abandonner n’est en effet pas la meilleure solution, le lieu précis de sa naissance figurant obligatoirement sur son acte.
Elle aurait aussi pu n’avoir jamais accouché avant son fils, qu’elle a eu à 28 ans, comme indiqué sur l’acte de naissance de celui-ci.
Mais Paulette L. présente d’autres similitudes avec Paulette « X 108 » : elle a 27 ans en 1950, et son écriture sur son acte de mariage présente des caractéristiques communes avec celle de Paulette « X 108 », apparaissant sur l’acte d’abandon (photo).
Pourtant, on peut encore imaginer que Paulette soit originaire d’une toute autre région et qu’elle soit venue dans cette ville de la Somme le temps d’y cacher sa grossesse… Mais dans ce cas, elle aurait probablement séjourné dans un foyer de filles-mères, pour ensuite accoucher dans le privé, ou même en « maison maternelle », mais alors pour plusieurs mois.
Or, Paulette « X 108 » n’est arrivée à la maison maternelle que quelques heures avant son accouchement à l’hôpital.
Si, contacté par nos soins, le fils légitime de Paulette s’est montré confus dans ses souvenirs et ses explications, les enfants de ce dernier ont immédiatement accueilli l’existence d’Yvette avec bienveillance, se montrant même disposés à réaliser un test ADN*. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, Yvette a enfin, et surtout, pu mettre un visage sur celle à qui elle doit la vie, grâce aux photos que lui ont présenté d’autres membres plus éloignés de sa famille : « C’est un vrai soulagement. Ça m’aurait travaillé jusqu’à la fin de mes jours. »
* « avunculaire » (entre neveux/nièces et tantes) et « mitochondrial » (entre demi-frères et sœurs par la lignée maternelle).