Après 50 années d’un mystère qui n’en finissait pas de s’épaissir, Marie-Pierre s’était enfin décidée, en ce mois de mai 2002, à partir à la recherche de ce père naturel qu’elle ne connaissait qu’en photo. Une photo unique, en noir et blanc, sur laquelle il posait en gants de boxe et au bas de laquelle on pouvait lire son nom et son prénom.
De son histoire réelle, elle savait peu de choses. Sa mère Jeanne avait fait sa connaissance à Paris en 1952 par l’intermédiaire d’un ami commun, un certain Mohamed. Mohamed et Rolland s’entraînaient ensemble à la boxe avec André Régis, lui-même champion de France et manager officiel de la Fédération. Jeanne, qui vivait et travaillait jusque là comme bonne à tout faire avenue de Breteuil avait tout quitté pour suivre Rolland rue du Vertbois, dans le IIIè arrondissement ; mais deux mois plus tard, Rolland disparaissait définitivement après un court séjour passé en Normandie à combattre sur le ring de Grandville. A moins de 30 ans, en plein essor professionnel, il n’était probablement pas disposé à fonder une famille. Il ne connaîtrait certainement jamais l’enfant qu’il venait de concevoir avec Jeanne …
L’avenir aurait pu lui donner raison : toutes les recherches entreprises par sa fille Marie-Pierre, y compris auprès de la Fédération Française de Boxe, se sont avérées vaines. Jusqu’à ce qu’elle nous contacte. C’est finalement en janvier 2003 qu’elle a pu le serrer dans ses bras pour la première fois.
Rolland a survécu aux coups. A 77 ans, sans aucune autre famille que celle des infirmières de l’hôpital parisien qui l’a pris en charge en long séjour, il ne s’attendait plus à ce que la vie lui réserve encore de ces cadeaux qui n’ont pas de prix. Depuis leurs retrouvailles, Marie-Pierre rattrape les années passées loin de lui. Elle consacre à son père la moindre minute de son temps, s’occupant de lui comme il aurait du s’occuper d’elle si la vie n’avait pas décidé de les séparer. Car ce n’est pas Rolland, contrairement à ce qu’elle a cru toute sa vie, qui n’a pas voulu d’elle ; c’est son manager qui, en cette année 1953, lui a demandé de faire un choix entre la boxe ou les femmes. Chaque jour apporte ainsi à Marie-Pierre son lot de découvertes sur ce père qu’au fond, elle connaît si peu. Fils de pêcheurs espagnols, originaire d’Alger, Rolland a grandi au milieu de quatorze frères et sœurs avant d’entreprendre une carrière de boxeur en Algérie dès 1945. Appelé à combattre en France, notamment à Paris, ses partenaires perdent également sa trace à Grandville, dans la Manche, à la fin des années 50. Qu’a fait Rolland au cours de ces années où ni ses amis, ni sa famille n’entendront parler de lui ? Ses pertes de mémoire dues à son grand âge et probablement aux coups reçus, sa pudeur peut-être aussi, ne lèveront certainement jamais le voile sur l’un des plus mystérieux athlètes qu’ait compté notre pays.
Photos : Rolland, en pleine jeunesse, et aujourd’hui avec sa fille Marie-Pierre.