Quatrième d’une famille de 15 enfants, Lucienne n’aspire, dès sa plus tendre enfance, qu’à acquérir son indépendance. Dans la Haute-Marne où elle habite, elle assiste, au début des années 50, à l’arrivée des Américains sur les bases militaires françaises.
Socialement, leur présence créée une situation de plein emploi et se révèle être une planche de salut pour la main-d’oeuvre féminine. Economiquement, les salaires élevés versés aux Français, les dépenses effectuées par les 2000 hommes de troupe ou les 800 familles Américaines alimentent le commerce régional.
Lucienne voit, quant à elle, l’arrivée des Américains sous un autre jour. Ils ont des voitures « qui ne finissent pas », des uniformes verts-olive. Le rêve américain à domicile … Comble du bonheur : son voisin vient de se lier d’amitié avec un jeune G.I. de 22 ans, Harris Lee, qu’elle ne tarde pas à épouser. Leur fils Harris Junior naît à Verdun le 23 mai 1964. Son père, appelé à Saint-Domingue puis en Allemagne, n’est pas très présent. En juillet 1967, les derniers G.I. quittent la France. Depuis 1962, les départements de la Haute-Marne et de la Meuse perdent progressivement leur spécificité entant que point d’appui des forces américaines en Europe. Harris doit rentrer au pays. Mais à tout juste 18 ans, Lucienne n’a pas le courage de quitter la France. Ses amies Françaises, parties rejoindre leur mari aux Etats-Unis, n’ont trouvé personne pour les accueillir à l’arrivée.
Elles rentrent les unes après les autres au pays. Elle cache son fils, de peur que son père ne reparte aux Etats-unis avec lui mais la Police, alertée du kidnapping par Harris, le restitue à son père. Lucienne n’aura plus de nouvelles de lui jusqu’au 17 février 1969 où Harris demande le divorce à Oxford. Elle a enfin une adresse, même si ce n’est que celle du tribunal. Il lui faudra attendre l’année 1993 pour revoir son fils et savoir ce qui s’est passé durant toutes ces années.
En 1967, tout juste posé aux USA, Harris Lee confie son fils à la Police de l’Air et des Frontières, à qui il laisse un mot destiné à ses propres parents « merci de vous occuper de lui ». Elevé pendant cinq ans par ses grands-parents paternels, Harris regagne le foyer de son père au moment de son remariage avec une belle-mère qui ne l’aime pas. Son père, qui rêvait d’en faire un intellectuel, se désespère de le voir se tourner vers la mécanique et la maçonnerie.
Harris s’invente une mère à l’opposé de ce que son père lui en dit. Il est persuadé qu’elle l’a désiré et qu’elle n’a pas voulu l’abandonner.
Après 27 ans de souffrances et de questions sans réponse, Harris, comme sa mère, ont enfin su. Su qu’ils se sont recherchés tous les deux avec la même fougue, su qu’ils se ressemblaient.