A 80 ans, Pierre n’a jamais désespéré de revoir un jour Jacqueline. Jacqueline, avec qui il a tout partagé pendant sept ans, lui qui n’avait ni frère, ni sœur.
Issue d’une union illégitime le 10 octobre 1940, en pleine guerre, la fillette a été confiée à sa naissance à la mère de Pierre, dont le mari était alors mobilisé. Pierre, enfant unique, n’avait que 12 ans. « Sa mère travaillait chez un médecin à Nogent-le-Rotrou lorsqu’elle a découvert sa grossesse. Une de plus, elle qui avait déjà d’autres enfants, et une de trop. Il faut dire qu’à cette époque, les grossesses illégitimes étaient mal perçues.
« Grâce à ses relations et à celles de ma mère avec le milieu médical, elle a pu accoucher à Chartres où nous habitions et obtenir que sa fille nous soit confiée. »
Jacqueline restera sept ans dans cette famille « d’accueil » avant qu’un couple de Français d’Algérie ne vienne la chercher pour l’adopter. « Nous avions été averti par télégramme de son départ prévu le 3 juillet 1947 et j’étais là. Je me souviens très bien de ce jour-là. Ma mère avait vêtu Jacqueline d’une belle robe ».
Un an plus tard, en 1948, Pierre effectue son service militaire en Algérie. Il s’empresse d’écrire aux parents adoptifs de Jacqueline pour aller lui rendre visite mais ceux-ci arguent qu’il est encore trop tôt ; elle n’a pas fait son deuil de ses premières années. « Tous nos efforts tentent à faire croire à Jacqueline qu’elle est vraiment notre fille, – écrivent-ils aux parents de Pierre le 7 juin 1948 – que seuls les bombardements et la guerre nous avaient obligés à la laisser en France. Pour atteindre ce résultat, nous sommes persuadés que tous liens avec le passé doivent être définitivement rompus ».
Un deuil d’autant plus improbable qu’entre-temps, Jacqueline a changé de nom. « Nous avions constitué tout un dossier, avec des lettres et des photos. Ma mère échangeait notamment une correspondance avec une certaine Mme Langlois, de Chartres, qui servait d’intermédiaire pour l’adoption. Elle était en relation avec le docteur de Nogent-le-Rotrou pour obtenir certaines pièces du tribunal et nous avait communiqué les coordonnées des futurs parents adoptifs en Algérie. Ils géraient une entreprise de travaux de bâtiments à Philippeville ».
Pierre ne reverra jamais sa petite sœur de cœur… Jusqu’à ce mois d’août 2008 où, grâce aux éléments d’enquête qu’il avait sollicités auprès de PersonneDisparue, il entend la voix de Jacqueline au téléphone. Pour la première fois depuis 61 ans !
Le 14 juin suivant, Jacqueline fait le voyage jusqu’à Chartres pour y rencontrer Pierre. Mais est-ce bien elle ? « Après avoir laissé une petite fille de 7 ans, revoir une grande dame de 67 ans et de 1m76 de grandeur, cela donne à réfléchir ! C’est elle ou pas ? »
Des doutes qui n’ont guère tardé à s’effacer de l’esprit de Pierre pour laisser la place au bonheur et à la sérénité. Celle de savoir qu’il partira, quand il le faudra, un peu plus en paix.