Parqués comme des bestiaux dans les réfectoires glaciaux de l’orphelinat prescolaire mixte n°6 de Bucarest, une centaine d’enfants âgés de quelques mois à six ans attendent en silence qu’un regard, un sourire se posent sur eux.
Certains sont orphelins de père et de mère, d’autres sont issus de parents célibataires démunis, conséquence de la politique nataliste de Ceaucescu.
Arrivé au pouvoir le 9 décembre 1967, d’abord en qualité de Président du Conseil d’Etat puis, à partir du mois de mars 1974, comme Président de la République, Nicolae Ceaucescu interdit immédiatement l’avortement, sous peine de prison, avant la sixième grossesse. Dans les années 80, alors que la population tout entière est éprouvée par le rationnement alimentaire, les coupures d’eau et de chauffage, les abandons se multiplient et le sort des 100 000 enfants placés en institution s’aggrave. Dans la seule ville de Bucarest, douze orphelinats accueillent encore actuellement plus de 1500 enfants.
C’est là, dans l’orphelinat mixte de la rue Trompetrului à Bucarest, que Daniel et Mirela arrivent le 24 juillet 1981. Ils ont 6 et 5 ans. Orphelins de mère, ils sont placés par leur père démuni qui ne reviendra jamais les voir.
Trois mois plus tard, le 15 octobre, Daniel est transféré dans un orphelinat de garçons. Un an après jour pour jour, Mirela est elle aussi transférée dans un orphelinat de filles. Le 9 mai 1983, Daniel demande l’autorisation de se rendre auprès de sa soeur. Il n’a pas encore huit ans, elle n’a pas fêté son septième anniversaire. Ce sera leur dernière rencontre. Le lendemain 10 mai, Mirela seule est adoptée par un couple de Français.
A l’orphelinat de garçons n°2 où il passera toute sa jeunesse jusqu’à l’âge de 19 ans, Daniel n’a désormais pour toute famille que ses copains de chambrée. Ils sont dix par chambre, ne connaissent ni l’eau chaude, ni le chauffage. Les carreaux sont cassés, jamais remplacés. Sept jours sur sept, ils sont nourris de pâtes et de pommes de terre. Personne ne leur adresse la parole.
En 1990, grâce à la secrétaire de l’orphelinat n°6 où vivait Mirela, Daniel, qui entame ses premières démarches pour retrouver sa soeur, obtient le nom de ses parents adoptifs. La Révolution Roumaine vient d’avoir lieu, le pays redécouvre la liberté. Il profite d’un voyage associatif en Irlande pour déposer une demande de Recherche dans l’Intérêt des Familles à l’ambassade de France de Dublin. En vain; il ne recevra jamais de réponse. Il devra attendre encore six ans pour serrer dans ses bras sa seule soeur. Sa seule famille.
Photo : Adoptée par des Français, Mirela avait laissé son frère en Roumanie.