Maryline n’y croyait plus. Depuis ses premières recherches il y a une dizaine d’années, l’espoir de retrouver sa fille, cette enfant aux jours roses qu’elle avait mise au monde, « sous X », en ce mois de mai 1976 s’était amenuisé.
Toutes ses démarches s’étaient avérées vaines. La mairie où avait été déclarée la naissance de Jacqueline, Joëlle, Paule, tout d’abord, lui avait affirmé qu’aucune naissance ne correspondait à celle de sa fille dans leurs registres. L’Aide Sociale à l’Enfance, ex- Assistance Publique, qui avait recueillie sa fille le lendemain de sa naissance l’avait également découragée, lui faisant clairement fait comprendre que son bébé avait été adoptée par un médecin de la région et qu’il valait mieux ne pas se mêler de ce qui ne la regardait plus au risque de perturber la vie de toute une famille. Il y a deux mois, elle a repris ses recherches avec l’aide de PersonneDisparue.com… et l’amour et l’acharnement, enfin, ont eus raison de la rigidité et de l’inhumanité de l’Administration.
Jacqueline, adoptée par une famille de fermiers du Nord, est devenue Marylène. Simple coïncidence ou signe du destin, ses parents adoptifs, sans le savoir, lui avaient donné, à une lettre près, le prénom de sa mère biologique. Elle avait elle aussi désespérément cherché sa mère pendant des années, avant de s’avouer vaincue face aux mêmes obstacles. Probablement aussi face aux mêmes personnes que celles auxquelles sa mère s’étaient adressées…
Si l’espoir que nourrissent tant de mères « de l’ombre » est devenu une réalité pour Maryline, c’est qu’elle a su surpasser la culpabilité et la honte qui hantent si souvent ces femmes, quelles que soient les circonstances qui les aient conduites à abandonner un enfant sous le sceau du secret. Pour cette – encore – jeune maman de 42 ans, « l’amour était trop fort. Elle a toujours été présente, ancrée au fond de moi. Ce n’est peut-être pas le cas pour toutes les mères. Quand j’ai mis Jacqueline au monde, je partageais ma chambre avec une autre fille qui avait aussi accouché « sous X » et qui attendait comme une délivrance de pouvoir se débarrasser de son bébé. Mais contrairement à ce que l’on prétend, les femmes qui accouchent sous X ne peuvent pas mettre une croix sur cet événement qu’elles ont vécu. On ne peut pas oublier. C’est notre chair, notre sang. On ne peut pas oublier les contractions. On est toute seule dans une chambre, on a mal. Le lendemain, j’ai entendu pleurer, je suis allée la voir. Elle était brune, belle avec ses petites joues rouges. Et puis d’un seul coup, on ne sait plus rien, elle est partie. A 14 ans et demi, ce sont des choses qu’on n’oublie pas. »
Maryline n’a en effet pas 15 ans lorsqu’elle tombe enceinte d’un garçon tout juste majeur. « Mon père m’avais empêchée de participer, avec ma sœur Annie, au voyage de fin d’année scolaire. Il était très strict. Touts petits, il nous faisait faire les corvées ménagères quand les autres enfants sortaient jouer. Alors, avec ma sœur, on a décidé de fuguer et j’ai passé la nuit avec un copain qui faisait du football dans le quartier. C’était la première fois que je découchais. Il a fallu d’une fois et je suis tombée enceinte. Il est arrivé la même chose à ma sœur au même moment mais elle, elle a eu la chance d’être recueillie par un de mes oncles qui l’a acceptée avec son bébé lorsque mon père l’a mise à la porte. Moi, on ne m’a pas fait de cadeau. Mon père est allé voir l’assistance sociale des Mines de Oignies qui m’a laissée deux jours pour préparer mes affaires et m’emmener dans une maison maternelle à 150 kms de Libercourt où nous habitions. La seule fois où mon père est venu me rendre visite, c’était pour me faire signer des papiers, en m’expliquant que j’étais trop jeune pour m’occuper d’un enfant et que je récupèrerai ma fille à 16 ans. Je l’ai vu faire un clin d’œil à la directrice et je me doutais qu’il me mentait. Ma mère m’écrivait tous les jours et venait me voir souvent en cachette pour m’apporter de la layette et un peu d’argent. Elle craignait mon père. Quand je suis rentrée à la maison, il m’a juste dit « on tourne la page » mais lui ne l’a jamais tournée. Dès que je faisais un pas de travers, il remettait ça sur le tapis. J’ai appris par la suite qu’il avait menacé le père de mon enfant de porter plainte contre lui pour détournement de mineur. Je ne l’ai jamais revu. J’ai ressenti beaucoup de haine envers mon père mais avec le temps je l’ai pardonné. Il a lui-même été abandonné par sa mère en Pologne, d’où il était originaire et il a souffert de s’être construit tout seul. Il m’a fait payer sa souffrance. »
Pour tenter de compenser l’absence de sa petite Jacqueline, Maryline se marie quatre ans plus tard et met au monde deux autres enfants, Mehdi, aujourd’hui âgé de 23 ans et Yoan, qui vient de fêter ses 16 ans. « Ca m’a aidé à surmonter ces dates si douloureuses que sont les anniversaires, les Noëls ou les fêtes des mères, même si je ne leur ai appris que très récemment qu’ils avaient une sœur aînée quelque part. Ils ont été d’autant plus surpris que j’ai toujours recherché le contact avec les enfants. J’ai travaillé longtemps dans une école maternelle et je suis grand-mère depuis peu. »
Une lente reconstruction
Depuis leur rencontre, Maryline et Marylène construisent pas à pas leur relation. « Ca va prendre du temps. Pour elle qui a eue une enfance difficile comme pour moi qui ai été privée de ma chair pendant 27 ans, ce n’est pas facile de tisser des liens. Même si je ne l’ai pas élevée et si je sais désormais qu’elle n’a pas eue une enfance heureuse, j’ai au moins eu le bonheur de la mettre au monde. »
Loin d’avoir fait la joie d’un médecin de campagne, Marylène a grandi en fille unique dans une famille de fermiers du Nord qui se séparent quelques années après son arrivée. Battue, elle est placée en pension. Sa bouche édentée témoigne encore des maltraitances qu’elle a subies. Retrouver sa vraie mère la taraude. « Mes parents m’ont toujours dit que j’étais une enfant adoptée. Je l’ai su très jeune et c’est un bien, même si j’ai traversé une période où j’en ai voulu à ma mère adoptive. » Son parcours du combattant commence par la sempiternelle ASE qui la renvoie dans ses pénates d’une seule phrase. « Si votre mère avait voulu vous rechercher, elle aurait laissé un courrier, m’ont-ils répondu. Tous mes espoirs se sont effondrés. »
A 14 ans et demi, l’âge où sa mère l’a conçue, elle fait la connaissance d’Olivier, avec qui elle se met en ménage six ans plus tard. « Je découvrais une famille unie, remplie d’enfants. J’y ai trouvé les frères et sœurs que je n’avais pas. » La naissance de leurs jumeaux, Steven et Renaud, l’année de ses 19 ans la réconcilie avec la vie même si le malheur continue de s’acharner sur son sort : Renaud se révèle handicapé. « J’ai contacté la pouponnière où je suis née pour connaître mes antécédents médicaux et éventuellement obtenir des renseignements sur ma mère. Malheureusement, étant née sous X, ils m’ont opposé une fin de non-recevoir. J’ai définitivement pensé que je ne connaîtrai jamais mes origines, même si j’y pensais tout le temps. On ne peut pas ne pas y penser. On fait sa vie mais on a toujours ça dans un petit coin de la tête. On se demande pourquoi on a été abandonné. On voudrait les réponses et on les redoute à la fois. Alors on imagine ce à quoi pourraient ressembler nos vrais parents, on se créé son histoire. Je l’imaginais petite, car je ne suis pas très grande. J’imaginais une dame avec une bonne situation, douce et simple, quelqu’un de bien quoi. »
Quelqu’un de bien qui a su trouver les mots justes dès leur premier regard, avec la pudeur de l’amour qu’elle n’a pas pu donner à sa seule fille : « maintenant, je suis là. Si tu veux. »