Le 17 février 2005, Marie-Dominique contacte PersonneDisparue.com. Voici l’histoire qu’elle nous demande de débroussailler …
« Il me faudra de bien tristes circonstances familiales pour apprendre de mon père l’existence d’une « soeur de lait » alors que nous étions à l’époque jeunes arrivants à Brazzaville, dans l’ex Congo français. L’identité qu’il me donnait d’elle ne m’était cependant pas inconnue mais j’ignorais totalement l’origine amicale de nos familles. Je garde d’elle la vision d’une petite fille frêle et brunette avec laquelle je jouais le plus souvent à l’ombre d’une végétation luxuriante que sous un soleil de plomb. Notre dernière photo ensemble date de 1956, prise à Léopoldville. Nous étions alors au Congo Belge, de l’autre coté du grand fleuve.
Après Léopoldville nous nous installions à Matadi où mon père avait un chantier jusqu’en juin 1959. Combien de fois ai-je demandé à mes parents ce que les « Gautheron » étaient devenus, mais leur réponse a toujours été impossible. Les évènements violents de la décolonisation – dont ma mère et moi avons été préservées quelques mois plus tôt – nous ont dispersé sur la planète, ne laissant derrière nous aucune adresse.
Il y a 3 ans Internet a pris place dans notre foyer sans que je veuille lui manifester un minimum de curiosité. Puis un jour je ne sais comment, il m’est venu à l’idée qu’il pouvait m’être utile à retrouver « Francine ». Ma mère qui aujourd’hui n’est plus de ce monde l’appelait sa filleule mais je ne sais plus aujourd’hui si elle l’était devant l’Eglise ou si elle l’était par le coeur .
Lorsque nous nous sommes perdues de vue, Francine et moi ne savions alors ni lire ni écrire. Je savais bien qu’elle était née avant terme en 1951 à Brazzaville mais j’ignorais (où l’ai-je oublié ?) le rôle de ma mère dans le sauvetage de sa grande prématurité. J’apprends en effet en 1991 que ma mère qui m’allaitait avait été sollicitée pour son lait pour ce petit bébé à la vie d’autant plus fragile qu’à l’époque, il n’y avait pas de couveuse au Congo pour l’élever hors des dangers du climat équatorial . F. est donc par définition « ma soeur de lait » !
J’ai gardé dans ma mémoire lorsque nous allions chez elle l’atmosphère moite d’une buanderie-préau donnant sur une cour intérieure où l’on jouait dans des échappées de vapeurs quand les machines se vidangeaient dans le caniveau et ce parfum de savon chaud aussi odorant que celui que je retrouve dans le savon dit de Marseille. Mon père (83 ans bientôt) qui se souvient encore étonnamment du nom de jeune fille de Mme G. qu’il croit aussi de souche vendéenne, m’assure qu’elle était secrétaire à la Compagnie Française du Haut et Bas Congo. Quant à M. G qu’il me dit être également français, mais précise-t-il « tunisien maltais » (statut particulier à des français nés à une certaine période en Tunisie qui n’était pas une colonie française mais un protectorat : pour garder la nationalité française, les naissances étaient déclarées à Malte), il était transporteur de matériaux à Brazza. Mais les prénoms et les dates de naissance de tous me sont bien trop lacunaires, jusqu’aux revirements orthographiques de leur patronyme pour lequel j’adopte involontairement ces dernières années et de façon quasi-définitive, la forme de « Gautheron ».
Peu d’éléments pour des recherches
Depuis 2001 j’ai déposé des annonces gratuites sur des sites spécialisés et sur des sites personnels belges. Je reçois même un soir un mail de Brazzaville du Père Joseph Mermier de l’ordre des Spiritains. Après quelques échanges il m’adresse une copie de mon acte de Baptème qu’il fait rechercher sur le registre de Saint Anne des Piroguiers. Je lui évoque le cas de F., mais dans l’étroite fourchette de temps que je suppose aucun élément sur elle sur le registre. Je ne peux abuser de son précieux temps qu’il donne aux congolais, et il me prévient -« ne vous faites pas trop d’illusions car les archives ne sont pas la priorité du pays, et moi-même je suis très pris par ma mission pour vous aider davantage ». Il va cependant voir spontanément une des rares européennes qui vit depuis 50 ans à Brazza mais le nom de nos amis lui est inconnu. On se quitte en se disant « bonne chance » chacun de nous dans sa partition.
Je n’ai plus de patience pour ce voeu de très longue date. Après avoir évalué des frais de déplacements et d’hébergement si moi-même j’assurais ces recherches sur des pistes franchement hasardeuses tout en connaissant la réglementation rigoureuse des services d’Archives, alors, je me décide avec l’aide de Papa, à mandater PersonneDisparue.com le 17 février 2005. Officialisé pour les avis de recherches, les institutions leur seront moins hermétiques et je devrais donc avoir au moins un minimum de réponses à mes questions.
49 ans après …
« J’entends encore au téléphone » Nous avons le plaisir de vous faire savoir que « Francine Gautheron » a bien été localisée hier dans la région parisienne et pourtant, dixit mon interlocutrice, votre recherche n’était pas gagnée d’avance ! » Francie G. et non « Francine Gautheron » est née le 5 novembre 1951 à Brazzaville (Congo) de J, P G aujourd’hui décédé et de S.M.A.D dont elle s’occupe actuellement. Elle a bien deux frères …. La famille G a quitté le Congo en 1962 pour s’installer rapidement au Sénégal où elle est restée jusqu’en 1990. Franci(n)e est agréablement surprise de savoir que vous aviez autant de souvenirs d’elle et m’a même raconté que ses parents s’étaient rencontrés à la Compagnie Française du Haut et Bas Congo. Nous avons mis en oeuvre d’importants moyens pour retrouver l’orthographe exacte de son nom de famille dans la mesure où nos recherches initiales ne laissaient apparaître qu’une seule personne portant le nom exact de « Gautheron » originaire du Congo, que celle-ci se prénommait « S » et qu’elle n’était pas née dans la fourchette que nous avions imaginée. Il ne s’agissait donc pas d’un membre de la famille que vous recherchiez. Nous avons donc travaillé par déduction sur des orthographes approchantes et avons longtemps pensé à une erreur de retranscription avant d’acquérir la certitude qu’il s’agissait pourtant des bonnes personnes (…) »
Ne pouvant attendre davantage j’appelle F. le soir du 7 avril. J’étais forcément mieux préparée qu’elle. Je la sens réservée, voire prudente dans ses propos. Elle n’imagine pas le plaisir qu’elle me donne en parlant de Lucette (ma mère). Aussi petites que nous étions, on ne s’était donc pas oubliées ! Une rencontre est envisagée mais je lui suggère pour plus de sérénité de me contacter à son tour quand elle le voudra. Je reçois un mail de son plus jeune frère : « ce soir on ira voir F. et mamie avec tous les documents que tu m’as envoyés, ça fera très plaisir aussi à ma mère de se remémorer les souvenirs du Congo. Le bonjour à ton père de notre part à tous. Bisous « .
Une heure après le téléphone sonne chez moi en Charente : les barrières sont définitivement tombées.
Les retrouvailles ont donc eu lieu le samedi 13 mai, veille de Pentecôte, dans un appartement de la région parisienne dont l’abondante décoration végétale et les oiseaux multicolores trahissent une nostalgie évidente. Pas d’émotion fragile aux premiers regards mais une atmosphère spontanément très joyeuse où le passé se mêlant au présent m’a donné cette impression que l’on avait encore des choses à se dire. La journée s’est ainsi étirée dans la bonne humeur jusqu’au petit matin pour trois générations réunies avec la promesse de se revoir. »