Elles se sont retrouvées orphelines à la naissance, dans le dénuement le plus total. Leur mère Halima, une fille mère de religion musulmane, n’a pas eu le temps de fêter sa 36e année… Elles, ce sont Florine (photo) et Vivienne, respectivement nées à Moroni aux Comores, une petite île de l’océan Indien, en 1945 et 1942.
Florine a toujours entendu dire que leur père, dont elles portent le nom, se prénommait Edouard, qu’il était marié et d’obédience catholique. Son identité figure d’ailleurs bien sur certains documents, notamment sur leurs actes de baptême … où il apparaît en tant que parrain !
Au décès de Halima, un colon de Singani devint le tuteur légal des jeunes filles. Florine échappa à sa surveillance le jour où il tenta de la contraindre d’épouser un de ses cousins.
Dans sa cavale, elle rencontra un couple qui lui proposa de l’engager comme bonne à tout faire. Un courrier de son futur employeur, le médecin capitaine D., adressé au directeur de l’Inspection du Travail des Comores en date du 13 février 1963, atteste de son nouveau départ dans la vie :
« J’ai l’intention d’emmener en France Mademoiselle Florine F., âgée de dix-huit ans (…) Cette jeune fille d’origine comorienne a été élevée dans une famille réunionnaise (religion catholique, instruction élémentaire). Elle a au point de vue nationalité le statut métropolitain (enfant naturelle non reconnue de mère comorienne et de père présumé européen, qualité qui lui a été reconnue par jugement du 3 juillet 1962 du tribunal de Première instance de Moroni).
« Elle travaille comme nénène depuis plus d’un an à la maison où elle vit en famille (nourrie, logée, payée – 5000 francs CFA – entretien). Elle a des contacts assez rares avec sa famille naturelle (sa mère est décédée à sa naissance) et d’autre part elle ne peut s’intégrer dans le milieu comorien dont elle est différente par la religion et la façon de vivre.
« Dans ces conditions, il me faut prendre la responsabilité de l’emmener avec ma famille en France pour lui éviter une situation aux Comores qui paraît sans issue pour elle.
« C’est pour ces différentes raisons que je n’ai pas utilisé un contrat de travail type qui ne traduirait pas de façon exacte une situation de réalité plus nuancée. Je ne voudrais pas que vous considériez qu’il puisse s’agir d’une exploitation déguisée.
« Est-ce que la solution adoptée vous paraît raisonnable et pouvez-vous me dire si elle est compatible avec la législation du travail en vigueur ? (…) »
M. Malrieu, le conseiller au travail de l’Inspection comorienne donna son accord le 18 février 1963. Florine accepta cette bouée de sauvetage qui lui était tendue et suivit sa famille d’accueil dans ses voyages.
Elle s’occupait à merveille de leurs deux enfants, Patricia et Wilfried, lorsqu’elle rencontra, au cours d’un séjour à Djibouti, son futur mari Maurice qui effectuait là son service militaire. Pour financer la cérémonie de mariage, qui eut lieu le 11 juillet 1970, le jeune appelé du revendre sa collection de disques de Johnny Hallyday dont il était fan (il a même fait tatouer son visage dans son dos !). Avec les quelques sous qui restaient, le couplerentra en France… et eut beaucoup d’enfants.
Ce conte de fées d’un autre temps ne nous est permis de connaître que grâce à l’acharnement que mit, dès son adolescence, la septième des onze enfants du couple, Sylvia pour aider sa mère à retrouver sa sœur Vivienne dont elle fut séparée l’année de ses dix-huit ans.
Ainsi, nous rapporte-t-elle, « Florine, notre mère, a été la plus chanceuse des deux dans son malheur. Ni elle ni sa sœur ne savaient lire ou écrire mais en se faisant légalement adopter par ces Français aisés, notre mère a eu accès à l’éducation même si leur motivation de départ était d’en faire leur bonne. Sa sœur, elle, est restée aux pays. Au début, elles se donnaient des nouvelles par l’intermédiaire d’une cousine lettrée. Puis, à partir de l’année 1963, les contacts ont cessé … »
Des recherches vaines
En France, les choses se compliquèrent. « A l’issue de son service militaire, Maurice, notre père a retrouvé son emploi d’ouvrier agricole. Ses revenus modestes ne nous permettaient pas toujours de manger à notre faim. On a plus ou moins été élevés par notre oncle. On est une famille très soudée et j’ai toujours voulu réaliser les trois vœux de ma mère : tout d’abord, j’ai prénommé mon fils en l’honneur de notre frère Geoffrey – le dixième de ses enfants décédé à l’âge de deux mois –. Je me suis engagée, pour que ma mère repose en paix lorsqu’elle décèdera, à devenir tutrice légale de notre frère Cyril, qui est trisomique. Enfin, j’espère toujours avant que ce jour n’arrive, lui retrouver sa sœur. Car ma mère est ma déesse éternelle. Elle a su nous inculquer l’amour mais aussi le courage, la persévérance. Ma mère est une femme forte que je n’ai vue pleurer qu’une fois, au décès de notre frère. On a tellement peur de l’échec qu’on n’ose plus la tenir au courant de nos démarches. On a longtemps cru que sa sœur lui en voulait d’avoir été adoptée mais maman nous a affirmé que ce n’était pas le cas. Jusqu’à présent, ni la famille adoptive de notre mère, avec qui elle est restée en contact, ni la Recherche dans l’Intérêt des Familles qu’on a sollicité le 10 octobre 1990 auprès de la Préfecture du Nord Pas-de-Calais n’ont pu nous aider à la localiser. »
C’est avec autant d’espoir que d’appréhension que Sylvia a fini par nous confier cette enquête qui s’annonçait ardue quoique passionnante. Celle-ci nous a conduits dans de nombreuses directions avant de s’achever en France, où nous avons localisé Vivienne dans la région du Mans après de longs mois de doutes. Etait-elle seulement encore en vie ? Nous n’avions aucun moyen de le savoir…
Nous avons toutefois réussi à apprendre que Vivienne avait épousé un ancien colon de la Réunion installé au Comores, de nationalité française, avec qui elle a eu cinq enfants. Mais la malchance l’aura poursuivie jusqu’au bout. En 1981, elle perd son mari. L’instabilité politique du pays la contraint à demander à son tour une expatriation pour la France.
A la suite de problèmes hépatiques contractés au cours de son adolescence, elle a perdu l’usage d’une jambe et se déplace difficilement. Son ange gardien à elle, c’est son fils Georges. Vivienne n’a pas le téléphone et c’est grâce à lui que nous parvenons à établir le premier contact. Georges a toujours tout fait, lui aussi, pour préserver sa mère. Son premier mail, posté le 19 octobre 2005, nous laisse entrevoir le bonheur que cette famille au destin extraordinaire attendait depuis 42 ans : « (…) Depuis mon enfance, ma mère recherche désespérément sa sœur Florine sans succès. Elle la croyait décédée. Florine, pour moi, c’est l’Arlésienne. Tout ce que je sais, c’est qu’un jour, elle est partie en France… Ma mère a eu une vie difficile. Elle ne travaillait pas pour pouvoir nous élever. Leur père Edouard, mon grand-père, est décédé en 1997 (…) La démarche de Florine et le fait que ma mère sache que sa sœur est vivante sont les choses les plus importantes pour elle aujourd’hui. Ca va lui laisser des marques. C’est un cadeau immense. »